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Le grogneur
17 août 2016

Les LGBT sont ils anti sémites ?

Des incidents ont émaillé en ce début d'année la conférence Creating Change, le symposium annuel de la National LGBTQ Task Force américaine, où des représentants d'un centre communautaire de Jérusalem devaient prendre la parole. Bon nombre de mouvements sociaux se délitent à cause de querelles intestines et autres mesquines guéguerres. La communauté LGBTQ américaine de gauche n'est certainement pas exempte de stupides chicanes et, avec l'obtention de droits égaux au mariage, ses initiés prédisaient depuis un certain temps sa scission en factions antagonistes. Reste que six mois après l'arrêt de la Cour suprême dit Obergefell, un problème légitimement préoccupant commence à faire craquer les coutures du mouvement LGBTQ. Ce problème, c'est l'antisémitisme. A priori, il n'y a rien de logique à ce qu'un groupe défini, en partie, par son statut de minorité et une histoire faite d'oppression, canalise une rage irrationnelle vers les Juifs. Mais comment qualifier autrement la triste histoire qui vient de se dérouler le week-end du 23-24 janvier à la conférence Creating Change, le symposium annuel de la National LGBTQ Task Force? Tous les ans, Creating Change rassemble, lors d'un unique et tumultueux sommet, des dizaines d'associations et groupes militants, du plus confidentiel au plus mainstream, afin de confronter les expériences et mener des débats stratégiques. Cette année, la conférence prévoyait une présentation de A Wider Bridge, un groupe reliant les Américains LGBTQ et juifs à la communauté LGBTQ israélienne. Une présentation à laquelle devaient d'exprimer des membres de l’Open House for Pride and Tolerance de Jérusalem, un centre communautaire LGBTQ. Mais quelques jours avant le début des festivités, Task Force allait décider d'annuler cette réception, se pliant par là même aux pressions exercées, notamment, par la Muslim Alliance for Sexual and Gender Diversity. En effet, l'alliance musulmane pour la diversité sexuelle et genrée demandait aux organisateurs de la conférence de «repousser le sionisme» et «les forces d'occupation et d'oppression» en mettant A Wider Bridge à la porte. Après une vague d'indignation, portée notamment par des Juifs LGBTQ, Task Force est revenue sur son annulation et laissera l'événement se dérouler comme prévu. En réaction, un groupe de 200 manifestants a déboulé lors de la conférence en brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «À bas le pinkwashing» ou «Le sionisme pue». Les conférenciers d'Open House, qui venaient tout juste de monter à la tribune, furent rapidement éjectés. La présentation fut annulée. Victoire des manifestants. Il est tout à fait sensé de critiquer Israël pour le sort que le pays réserve aux Palestiniens. L'occupation brutale de la Cisjordanie est une catastrophe en termes de droits humains et les discriminations permanentes que subissent les citoyens palestiniens d’Israël tournent en ridicule le concept-même de justice. En outre, qu'Israël saccage Gaza à intervalles réguliers, avec un nombre de victimes civiles atrocement élevé, est un fait insoutenable. Autant de sujets qu'il serait parfaitement légitime d'aborder lors d'une conférence œuvrant pour la justice sociale internationale. Reste que A Wider Bridge et le centre communautaire Open House de Jérusalem ne sont pas favorables à l'assujettissement des Palestiniens. En réalité, ni l'un ni l'autre ne sont particulièrement engagés sur la question du conflit israélo-palestinien. Les deux associations se focalisent sur l'égalité des droits des personnes LGBTQ en Israël et sur le rapprochement des communautés LGBTQ israélienne et américaine, et ce afin de mutualiser leurs stratégies. Mais qu'il existe le moindre lien avec Israël était déjà visiblement intolérable pour les 200 protestataires. A Wider Bridge, accusé de «pinkwashing», allait donc être l'objet de leur rage. Pour les théoriciens du concept, qu'Israël lutte pour donner des droits civiques à ses citoyens LGBTQ n'est qu'un odieux subterfuge. Peut-être qu'Israël protège les individus LGBTQ des discriminations à l'embauche et leur permet de s'engager dans l'armée sans avoir à se cacher, d'adopter des enfants ou de se marier comme tout le monde, mais, en réalité, le but est de camoufler les violations des droits humains que le pays fait subir aux Palestiniens. Toujours selon la théorie du pinkwashing, si Israël offre quelques miettes de droits à sa communauté LGBTQ, avant de se targuer bruyamment de sa tolérance, ce n'est que pour couvrir les cris de souffrance des Palestiniens. En tant que concept, le pinkwashing est des plus insultants. Il sous-entend que le gouvernement israélien n'a aucun intérêt à promouvoir les droits des LGBTQ, si ce n'est pour masquer l'oppression d'autres groupes. Un soupçon qui ne porte que sur Israël et sur aucun autre pays du monde. Personne n'a pu penser que la France légalisait le mariage homosexuel pour camoufler le traitement abject qu'elle réservait aux Roms. Personne n'a accusé l'Afrique du Sud de vouloir judicieusement dissimuler les vilaines miettes de l'Apartheid sous le tapis du mariage pour tous. Et pourtant, quand Israël procure des droits égaux à ses minorités sexuelles, bon nombre de militants LGBTQ n'ont aucun problème à lui imputer des motivations malveillantes. Je ne ferai changer personne d'avis quant à la pertinence de ce réquisitoire en pinkwashing. Et cela ne m'intéresse pas non plus d'organiser une défense générale d'Israël, vu que la violence infligée à la Palestine n'a jamais été autant indéfendable. Mais j'aimerais poser cette simple question: pourquoi 200 manifestants ont considéré comme normal de punir A Wider Bridge et Open House pour les péchés d'un pays auquel ils se rattachent? Ce que je pense, c'est qu'une majorité d'entre eux ont été mus par des idées sur les Juifs et Israël enracinées dans l'antisémitisme Beaucoup de groupes présents à Creating Change viennent de pays aux lois et aux pratiques politiques profondément injustes. Beaucoup de participants à cette conférence viennent de pays bien plus répressifs qu'Israël. Mais les manifestants ne s'en sont pas pris à eux. Non, ils ont perturbé une réception soutenue par une association israélo-américaine et donnant la parole à des conférenciers israéliens. En d'autres termes, s'ils ont pris d'assaut ce rassemblement, c'est parce qu'il rassemblait une bande de Juifs. Toute hostilité envers Israël ne se double pas forcément d'une hostilité envers les Juifs. Mais quand cette hostilité émerge d'une exécration générale d'Israël; quand elle repose sur une théorie voyant obligatoirement de la malveillance dans les motivations des Juifs; quand elle s'exprime par un déferlement de colère sur deux groupes composés de Juifs – là, la frontière entre anti-sionisme et antisémitisme devient particulièrement poreuse. Je ne crois pas que les manifestants de Creating Change étaient de féroces antisémites. Ce que je pense, c'est qu'une majorité d'entre eux ont été mus par des idées sur les Juifs et Israël enracinées dans l'antisémitisme. L'esprit complotiste de la manifestation, tout comme la volonté des manifestants de faire porter à des Juifs américains et israéliens le chapeau des méfaits d'Israël, ont très probablement germé sur le terreau d'une paranoïa antisémite. Et même la tournure formelle de cette manifestation –une foule en colère agressant des conférenciers juifs– est un écho bien laid aux violences antisémites du passé.

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